Psychiatrie

Dépression, vers des traitements toujours plus stupéfiants

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Publié le 19/12/2022
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Alors que la noradrénaline et la sérotonine constituent pour le moment les principales cibles thérapeutiques dans le domaine de la dépression, l’avenir pourrait voir se développer de nouveaux traitements, issus des stupéfiants et ciblant plutôt le glutamate.

Crédit photo : PASIEKA/SPL/PHANIE

Alors que la dépression gagne du terrain, l’arsenal thérapeutique actuel reste insuffisant pour de nombreux patients. Mais après deux décennies de calme plat, la recherche semble entrer dans une nouvelle ère, avec de plus en plus d’espoirs portés par certains produits stupéfiants.

Eskétamine et produits psychédéliques

Les isomères de la kétamine comme la S-kétamine (ou eskétamine) suscitent notamment un intérêt croissant.

L’intérêt de la kétamine – classée parmi les drogues aux USA – a été trouvé par hasard chez une patiente dépressive sévère il y a une vingtaine d’années. Longtemps moquée, cette piste a depuis été explorée et les études cliniques ont mis en lumière, en plus d’une certaine efficacité, une rapidité d’action surprenante, en quelques heures après son administration.

En fait, « nos équipes ont montré que la kétamine produit principalement un effet sur la libération de glutamate dans le cortex et que cet effet est optimal à la suite de son administration par voie intranasale, explique le Pr Alain Gardier, neuropharmacologue à l’université Paris-Saclay (UMR 1 018 Équipe MOODS). Il s’agit d’une vraie révolution car on ne parle plus de noradrénaline et de sérotonine comme avec la pharmacopée classique, mais de glutamate ».

En 2019, une formulation par voie intranasale (pour un accès cérébral direct) a donc obtenu une ATU dans la dépression modérée à sévère, pour le traitement, en association avec un inhibiteur de la recapture de la sérotonine (ISRS ou IRSN), des patients n’ayant pas répondu à au moins deux antidépresseurs différents. Et depuis décembre 2020, l’eskétamine est aussi indiquée, en accès dérogatoire, en traitement aigu à court terme pour la réduction rapide de symptômes dépressifs constituant, selon l’évaluation clinique, une urgence psychiatrique.

Côté tolérance, la kétamine est addictive et peut donner des hallucinations, des troubles dissociatifs ou de la perception, des troubles cardio­vasculaires post-administration et un comportement autoagressif, ce qui impose une prescription et une surveillance à l’hôpital. Malgré tout, la balance bénéfices-risques « semble favorable, souligne le Pr Gardier, avec notamment un intérêt majeur en cas d’idées suicidaires, un domaine orphelin de traitement actuellement ».

En parallèle, la recherche sur les psychédéliques, comme la psilocybine extraite de champignons, s’accélère. Cette substance est un agoniste du récepteur 5-HT2A de la sérotonine mais elle agirait aussi de façon indirecte sur le système glutamate.

En avril 2021, une équipe de chercheurs britanniques a rapporté les résultats encourageants d’un essai randomisé qui comparait ses effets à ceux de l’escitalopram. Les patients traités avec la psilocybine étaient 22 % plus nombreux à présenter une diminution de plus de 50 % de leur niveau de dépression (70 % vs 48 %). Comme dans d’autres études, le nombre de sujets recrutés était très faible. Un autre essai de phase 2 paru en 2022 avec 233 patients « résistants » et une seule dose de psilocybine est également prometteur, une administration unique produisant des effets bénéfiques sur les idées suicidaires et la dépression résistante pendant plusieurs semaines. « Comme si la molécule se comportait telle une sorte de starter d’un mécanisme encore inconnu », décrypte le Pr Gardier.

À l’avenir, ces traitements stupéfiants pourraient se faire une place de choix dans le traitement de la dépression résistante et en cas de risque suicidaire important, sous réserve que les freins réglementaires limitant la mise en place d’études d’envergure soient levés, insiste le Pr Gardier.

La personnalisation des traitements en ligne de mire

En attendant, les chercheurs tentent de définir des sous-familles de patients déprimés car on les traite actuellement avec les mêmes médicaments. « Or, en étudiant les comorbidités, on constate que certains sont déprimés avec une comorbidité anxieuse, d’autres avec une neuro-inflammation et perturbation de l’axe HPA (hypercorticostéronémie), une altération du microbiote intestinal, une obésité ou une pathologie cardiovasculaire, etc. Il faut d’abord comprendre ces différentes physiopathologies, dans l’espoir d’ajuster le traitement à chacun de ces sous-groupes. On s’achemine donc vers une personnalisation des traitements dans la dépression. »


Source : Le Généraliste