EN 2008, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme la condamnation prononcée par le TGI de Toulon à l’encontre d’un chirurgien esthétique après la rupture d’implants mammaires PIP. Pour la justice, ce chirurgien a manqué à son devoir d’information, ce qui a entraîné une perte de chance importante (90 %) pour la patiente. L’avocat Laurent Gaudon, qui relate l’histoire sur son site Internet, y voit « un biais juridique » permettant d’attaquer les chirurgiens. « Ce qui, précise-t-il sans détours, est intéressant vu que la société PIP est en liquidation judiciaire ».
La Cour a reproché au chirurgien de n’avoir justifié « par aucun élément probant » qu’il avaitrecueilli le consentement éclairé de la patiente. Un précédent de mauvais augure pour les poseurs de prothèses ? En fait, le cas était particulier, avec des ruptures en série (quatre ruptures en l’espace de quatre ans). Surtout, nuance le secrétaire général du Syndicat national de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, « le chirurgien a été condamné pour la pose de prothèses PIP en sérum physiologique ». « L’avocat fait un amalgame, enchaîne le Dr Sébastien Garson. C’est comme comparer des pommes et des poires. L’affaire du moment concerne la même marque mais d’autres implants [en silicone], pour lesquels il y a tromperie industrielle ».
Me Gaudon, un brin cynique, rappelle que les chirurgiens sont assurés, solvables, et… attaquables. Le discours à ses clientes est rodé : « Étaient-ils au courant de la défectuosité des implants ? Avaient-ils eu dans leur cabinet, avant de vous opérer, d’autres patientes qui avaient vu ces prothèses se rompre spontanément ? ».
Risques fréquents ou graves.
Chaque année, plusieurs médecins sont condamnés pour défaut d’information (voir tableau). Il est reproché au praticien de n’avoir pas parlé d’un risque de perforation ou d’infection nosocomiale, précise Nicolas Gombault, directeur général du Sou médical. Qui n’a pas connaissance de condamnation pour défaut d’information au sujet de la pose d’un matériel médical. Un obstétricien a bien été condamné pour défaut d’information avant l’insertion d’un implant défectueux de marque « Implanon », mais la Cour d’appel l’a blanchi. En novembre dernier, la Cour d’appel de Bordeaux a condamné à 12 000 euros un chirurgien orthopédique pour n’avoir pas délivré d’information sur le matériel employé. La justice a considéré que le chirurgien a privé sa patiente de l’opportunité d’évaluer les différents composants qui pouvaient être utilisés et de demander d’autres avis spécialisés.
Quelles informations le médecin doit-il à son patient ? Depuis la loi du 4 mars 2002, rappelle Me Isabelle Lucas-Baloup, tout médecin doit informer son patient sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles ». De préférence par écrit, même s’il n’existe aucune obligation en la matière. En cas de nouveau risque identifié, le patient doit en être informé au cours d’un entretien. « À l’époque de la pose des prothèses PIP, qui avaient bonne réputation, et qui avaient le marquage CE, les chirurgiens n’avaient pas connaissance du risque. Ils ne peuvent donc être poursuivis », affirme Me Lucas-Baloup.
Mais un autre angle d’attaque existe, si le chirurgien a omis de signaler les incidents rencontrés. « Les déclarations de matériovigilance sont une obligation, complète l’avocate spécialisée en droit de la santé. Soit le chirurgien constate un problème grave, et il doit le déclarer de suite. Soit il constate un dysfonctionnement ou une altération des caractéristiques ou des performances du dispositif médical, et il doit alors le déclarer dans les trois mois ». Un chirurgien esthétique marseillais, le Dr Christian Marinetti, assure qu’il a signalé à plusieurs reprises des cas de rupture d’implants PIP à l’AFSSAPS. L’Agence a-t-elle tardé à réagir ? Le parallèle avec l’affaire Mediator est inévitable. Mais Me Lucas-Baloup met en garde contre les conclusions hâtives : « Il faut savoir combien de déclarations l’AFSSAPS a reçues avant de lui reprocher d’être restée inactive ». Ne pas déclarer un incident lié à un matériel médical est un délit passible de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende. Si des chirurgiens sont condamnés dans l’affaire PIP, ce sera pour ce motif, pronostique Me Lucas-Baloup.
Médecins « escroqués », eux aussi.
Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins certifie que la profession n’a rien à se reprocher. « Si l’un d’entre nous avait eu le moindre doute sur les prothèses PIP, il serait aussitôt monté au créneau, affirme le Dr Michel Legmann. En tant que radiologue, je n’ai pas constaté ce genre d’incident jusqu’à présent. J’ai encore vu une porteuse d’implant mammaire PIP ce matin, sans la moindre fissure ». Dans cette affaire, les médecins ont été « escroqués » au même titre que les patients, insiste le président du CNOM. « Nous n’étions pas au courant de cette fraude, complète le Dr Isabelle Sarfati, chirurgien de l’Institut du sein, elle-même porteuse d’implants PIP. Fin 2009, nous avons tous averti l’AFSSAPS qui a réagi très vite ». Pour compléter la défense de ses confrères, le Dr Sarfati ajoute qu’il n’y a « pas eu de dumping sur les prix ».
Le Dr Sébastien Garson, du Syndicat national de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, ne comprendrait pas davantage qu’un de ses confrères voit sa responsabilité engagée. « Un implant finit tôt ou tard par se rompre : c’est la première chose qu’on dit à la patiente, rappelle-t-il. Devis, consentement éclairé, carte d’implant permettant la traçabilité : la chirurgie esthétique a été promoteur en matière d’information ». Le discours du Dr Marinetti, qui se targue d’avoir vu avant tout le monde que les prothèses en silicone PIP ne valaient pas tripette, dérange. « Aujourd’hui, c’est facile de dire qu’on savait que les prothèses PIP étaient défectueuses, commente le Dr Garson. Des chirurgiens ont posé des prothèses PIP jusqu’en 2010, et ils en étaient ravis. Ce n’est pas parce que l’un d’entre nous dit avoir vu quelque chose, que tous les autres ont été malveillants et ont caché des choses ».
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