On a beau être nettement plus en forme que les seniors des générations précédentes, plus on avance en âge, plus la prévalence de la douleur augmente. 50 % des patients âgés vivant à domicile sont ainsi porteurs de douleurs chroniques. La douleur aiguë semble cependant moins ressentie chez le senior du fait d’une modification du rapport des fibres A myélinisées/fibres C amyélinisées en raison de la perte de myéline des
fibres A delta et de la diminution moindre du pool de fibres nociceptives C non myélinisées (viscérales, etc.). « C’est pourquoi la personne âgée peut rapporter plus tardivement une douleur d’infarctus du myocarde, d’appendicite, de pneumopathie, etc., explique le Pr Gisèle Pickering du CHU de Clermont-Ferrand, membre de la Société Française d’étude et de Traitement de la Douleur (SFETD). Avec, à la clé, un retard de prise en charge, d’arrivée aux Urgences, lors de pathologies cardiaques, abdominales, pulmonaires ».
Par ailleurs, l’intégration cérébrale du message douloureux aigu s’altère avec l’âge. Sans compter que le stoïcisme de la personne âgée, qui estime normal de souffrir plus en vieillissant, complique la prise en charge en minimisant la plainte.
Une douleur aiguë atténuée, une douleur chronique exacerbée
Autant le ressenti de la douleur aiguë chez le senior est amoindri, autant la douleur chronique chez lui semble exacerbée. « La sensibilisation centrale est plus forte avec l’âge, explique la pharmacologue. En cause, les contrôles descendants – et inhibiteurs – de la douleur qui fonctionnent de façon moins optimale lorsqu’on vieillit ». Lorsqu’une pathologie chronique douloureuse s’installe chez un senior, la situation risque d’empirer avec des douleurs qui vont durer longtemps car les processus de sensibilisation centrale s’enflamment, sans contrôle efficace.
Le risque est identique dans la douleur neuropathique. Sa prévalence est de plus de 10 % après 65-70 ans contre 7-8 % en population générale. La douleur post-zostérienne en est l’exemple le plus connu. Là aussi, les faisceaux descendants sont moins efficaces, mais la sensibilisation centrale est encore plus importante que dans les douleurs nociceptives chroniques. L’une des explications serait, dans ce cas, l’existence de systèmes descendants facilitateurs qui sembleraient en augmentation chez le senior, amplifiant ainsi la douleur neuropathique.
Une antalgie toute en nuances
Les prescriptions d’antalgiques chez la personne âgée seront plus nuancées si elle souffre de comorbidités et donc de polymédication avec un risque d’effets indésirables et d’interactions médicamenteuses accrus.
« Il y a trois maîtres-mots dans l’antalgie chez le senior : une initialisation prudente, un suivi pas à pas (du fait d’effets indésirables plus importants) et une réévaluation permanente du traitement car des changements peuvent survenir tels une déshydratation, une nouvelle polymédication… », énumère le Dr Malou Navez, responsable de la consultation douleur au CHU de Saint-Etienne.
Les seniors peuvent bénéficier de traitements antalgiques puissants sous réserve de veiller aux posologies et à la polymédication (attention aux associations comme celle, typique, de psychotropes et de morphiniques). Les modifications pharmacocinétiques et pharmacodynamiques chez la personne âgée fragile sont aussi à prendre en compte. « La fonction rénale est l’élément clé, rappelle le Pr Pickering, coordinatrice de la référence « Douleur et Personne Âgée ». Le paracétamol est bien accepté mais sa posologie maximale doit être de 3 g/jour chez les seniors. AINS et aspirine, généralement contre-indiqués chez le sujet âgé, peuvent parfois rendre service, sous réserve de surveillance de l’hémostase. L’association diurétiques-AINS doit enfin être prescrite avec prudence. »
En pratique, les AINS classiques et les inhibiteurs sélectifs de la cyclo-oxygénase-2 (coxibs) « sont souvent prescrits aux personnes âgées et sont efficaces pour lutter contre la douleur musculosquelettique, surtout lorsqu’elle est d’origine inflammatoire (arthrite rhumatoïde), souligne le Pr David Lussier, directeur de la Geriatric Pain Clinic, McGill University Health Center (Montréal). Leur utilisation est toutefois associée à un risque élevé de toxicité
gastrique (ulcère, gastrite), rénale (insuffisance rénale aiguë, hyperkaliémie) ou cardiovasculaire (rétention hydrosodée, insuffisance cardiaque). Des inhibiteurs de la pompe à protons doivent être prescrits en association avec les AINS et coxibs lorsque ceux-ci sont utilisés pour une longue période ».
La codéine déconseillée
Concernant les antalgiques du palier 2 de l’OMS (faibles doses d’« opioïdes puissants » : tramadol, codéine, poudre d’opium-lamaline), quelques précautions sont à prendre car leurs effets indésirables rejoignent ceux des morphiniques du palier 3. Nausées, vomissements et constipation (en particulier avec la codéine et les morphiniques), nécessitent une co-prescription contre la constipation voire des antiémétiques. « La codéine n’est habituellement pas un opioïde à conseiller chez les patients âgés », précise le Pr Lussier.
Opioïdes : les effets indésirables, facteur limitant
Vis-à-vis des opioïdes, globalement, les patients âgés répondent aussi bien que les plus jeunes, mais la survenue d’effets indésirables est souvent un facteur limitant. Le choix dépend des propriétés pharmacologiques de l’opioïde, des comorbidités du patient (insuffisance hépatique ou rénale) et des
médicaments associés. Le faible dosage (12 mg) de certains patchs de fentanyl est adapté au senior mais ne devrait être prescrit qu’aux patients qui tolèrent bien des doses équi-analgésiques d’opioïdes à libération immédiate ou d’autres opioïdes à libération prolongée. Afin d’éviter les risques de surdosage prolongé, le Pr Lussier suggère de prescrire des doses régulières d’un opioïde à courte durée d’action (4-6 fois/jour) et de passer ensuite à un opioïde à longue durée d’action après s’être assuré de sa tolérance.
Pour le traitement des douleurs neuropathiques, chez les personnes âgées, il convient de privilégier la gabapentine, la prégabaline et la duloxetine. Les antidépresseurs tricycliques devraient être évités en raison de leur toxicité importante.
Quoi qu’il en soit, ajoute le Pr Pickering, « le médecin généraliste connaît bien son patient, d’où une prise en charge de la douleur aiguë satisfaisante ». La situation est plus complexe dans des pathologies chroniques comme l’arthrose où les antalgiques doivent être pris « à la demande ». D’une enquête récente, « il est ressorti que le patient âgé interprète souvent mal cette prescription “ à la demande ” et tend à moins s’automédiquer qu’il ne le devrait. Il faut donc s’assurer qu’il a bien compris la signification de cette mention. Par exemple, dans le cas de l’arthrose, il faut lui préciser de prendre l’antalgique avant une promenade, etc,. et lui expliquer que la douleur ne doit pas s’enkyster ».
Il reste néanmoins des progrès à réaliser dans l’évaluation de la douleur : chez un patient ayant des troubles démentiels, il est encore difficile de distinguer un état psychiatrique d’un état de douleur. Autre constat, tous les hôpitaux ne bénéficient pas encore d’équipes mobiles « Douleur » dont la fonction est d’intervenir à la demande rapidement dans les services. Enfin, dans le cadre du maintien à domicile, l’optimisation de la prise en charge de la douleur par les intervenants est un point central pour maintenir la qualité de vie des personnes âgées.
Les mentalités changent
Les seniors sont de plus en plus nombreux dans les consultations Douleur. « Ils souhaitent récupérer une fonction et améliorer leur qualité de vie plutôt que le “ zéro douleur ” », constate le Dr Malou Navez, responsable de la consultation douleur au CHU de Saint-Etienne. Les professionnels de santé sont aussi plus attentifs à la prise en charge de leur douleur.
En outre, les progrès récents dans la connaissance des molécules antalgiques et dans l’évaluation de la douleur (des échelles sont utilisées en pratique courante) ont rendu les soignants moins frileux vis-à-vis de leur prescription chez les seniors. Des distinctions par tranche d’âge se sont aussi imposées. Entre un senior de 65 ans «?en forme » et un autre de 85 ans avec des troubles cognitifs, l’évaluation de la douleur n’est pas la même. Les outils habituels, l’échelle visuelle analogique (EVA) ou l’échelle numérique (EV) se révèlent moins utiles en cas de troubles cognitifs ou de la communication (patient aphasique, post-AVC…), a fortiori lorsque la personne est sous médicaments pouvant affecter les systèmes cognitifs (antidépresseurs, neuroleptiques, benzodiazépines, etc.).
Le collectif français Doloplus a donc mis au point l’échelle Algoplus, (score de 0 à 5 avec un seuil de traitement à 2/5), une échelle comportementale de la douleur aiguë chez la personne âgée souffrant de troubles de la communication verbale. La version plus ancienne Doloplus est dédiée, pour sa part, à la douleur chronique.
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