En France, près d’un habitant sur cinq est âgé de 65 ans ou plus. Une récente étude de l’INED révèle que les années de vie additionnelle sur ces deux décennies se sont accompagnées d’une augmentation des troubles fonctionnels, mais pas nécessairement de situation de dépendance. Or, chez le sujet âgé polypathologique, toute affection aiguë est susceptible de l’entraîner dans une cascade de défaillances. Le praticien aura à cœur d’enrayer, autant que possible, l’évolution du processus, de le stabiliser et d’éviter les récidives, mais aussi de comprendre l’enchaînement des événements chez ce patient souvent polymédicamenteux.
Selon la plupart des économistes, « le vieillissement est le phénomène qui structurera le monde ». Les généralistes, confrontés à cette réalité quotidienne dans leurs cabinets, sont bien placés pour le savoir. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, en a également pris conscience, comme en témoigne le plan national maladies neuro-dégénératives que vient de lancer le gouvernement.
Pourquoi se centrer ainsi sur les seniors, faire de leurs pathologies une priorité nationale ? Les chiffres, à cet égard, sont éloquents.
Selon toutes les projections, en 2020, pour la première fois, les personnes de plus de 60 ans seront, dans le monde, plus nombreuses que les enfants de cinq ans. Et en 2050 les personnes âgées seront 2 milliards contre 841 millions aujourd’hui. Cette augmentation de l’espérance de vie est principalement due à la diminution du tabagisme et des décès de cause cardio- vasculaire. Ainsi, à 86 ans, l’espérance de vie moyenne actuelle est de 5,8 ans pour les hommes et de 6,7 ans pour les femmes. En outre, les affections touchant les seniors représentent 23 % des pathologies totales. Par ordre de fréquence, il s’agit des syndromes cardiovasculaires (30, 3 %), des tumeurs malignes (15,1 %), des pathologies respiratoires chroniques (9,5 %), des troubles musculo-squelettiques (7,5 %), et des pathologies neurologiques et mentales (6,6 %).
Bousculer ses repères habituels
Or le généraliste, de plus en plus sollicité par le troisième âge, doit savoir bousculer ses repères habituels quand il se trouve face à un senior. En effet, selon le Dr Marc Cohen, gériatre à Paris, « la sémiologie du sujet âgé ne ressemble pas du tout à celle que l’on a apprise dans les livres ». Devant une difficulté à la marche, par exemple, il faudra penser à un infarctus, même sans autre signe d’appel. À l’instar de la coronaropathie, ou de l’embolie pulmonaire, il s’agit d’une « pathologie sourde » qui ne donne souvent, chez le patient du troisième âge, aucun des signes habituellement vus chez l’adulte.
En outre, selon Marc Cohen, la règle pour le praticien face à un trouble du comportement chez le senior, doit être de rechercher une cause organique de toute origine, avant de penser à une démence. Il faut noter aussi « que certaines affections (comme le diabète et l’HTA) sont aujourd’hui de mieux en mieux contrôlées, et que les sujets de 65 à 75 ans présentant ce type de pathologies ressemblent souvent à des sujets de 50 ans il y a trente ans », précise le Pr Bruno Vellas (CHU Toulouse). On remarque également « une grande fréquence, dans les cabinets médicaux, des hémopathies chez les seniors », relève Marc Cohen, ce qui, entre autres problèmes, pose celui de la moindre tolérance des personnes âgées aux chimiothérapies.
Evaluer les risques de perte d’autonomie
Mais la priorité pour le praticien face à un patient dont l’âge est avancé reste d’évaluer ses risques de perte d’autonomie. Et de bien garder à l’esprit qu’en dehors des critères de fragilité ou critères de Fields – que l’on ne recherche pas assez selon Bruno Vellas (perte de poids involontaire, grande sédentarité, fatigue, vitesse de marche lente de moins d'un mètre par seconde, baisse de la force musculaire pour marcher 400 m) – le principal facteur précipitant de la dépendance reste la chute.
Selon le Pr Joël Belmin (université Paris VI), la chute du sujet âgé fragile est un événement récurrent. On estime que 50 % des chuteurs font plusieurs chutes par an. Elle peut s’accompagner d’une impossibilité de se relever seul du sol, surtout lorsque la personne âgée est sur le dos. De plus, en dehors des traumatismes physiques, la chute peut s’accompagner d’une régression psychomotrice, dont le délai d’apparition est de quelques heures, voire quelques jours, après la survenue de l’accident. Cette entité clinique correspond à une disparition de tous les automatismes moteurs sur fond d’angoisse majeure à la verticalisation. C’est le « syndrome post-chute », qui inclut une peur de retomber, et peut avoir une influence négative sur la bonne marche de la rééducation.
D’où l’importance selon le Dr Marc Cohen, de la prévention de cet accident chez la personne âgée. « On dispose actuellement d’outils qui permettent de mesurer le pas du senior et de voir s’il existe des modifications de ce pas, de sa longueur, de sa fréquence, annonciatrices du risque de chute ». Dès 80 ans, dans les maisons de retraite, des « groupes de prévention » pratiquent des activités régulières comme la pratique du tambourin, du tango, autant d’activités ludiques qui entretiennent un bon équilibre, apprennent au senior à tomber et à se relever.
« D’autres facteurs peuvent précipiter une perte d’autonomie », relève le Dr Cohen. D’où l’intérêt, pour le généraliste, d’être attentif au psychisme du senior. Dans les dépressions, notamment, dont l’événement déclenchant, comme le décès d’un conjoint sera systématiquement recherché. D’autres traumatismes, moins forts, pourront être évoqués, comme un déménagement ou un voyage qui peuvent déstabiliser un patient ayant un petit syndrome démentiel jusque-là bien équilibré.
Au niveau national, pour prévenir cette évolution des personnes âgées vers la dépendance, le ministère de la Santé met en œuvre des projets pilotes sur les parcours de santé des aînés, le PAERPA.
Cette démarche déploie différentes actions adaptées aux besoins des personnes de 75 ans et plus en ciblant particulièrement les personnes encore autonomes, mais dont l’état de santé est susceptible de se dégrader pour des raisons d’ordre médical et/ou social. Cette démarche a pour objectif de faire en sorte que les personnes reçoivent les bons soins, par les bons professionnels, dans les bonnes structures, au bon moment, le tout au meilleur coût. Ceci en améliorant la coordination entre les différents professionnels sanitaires, sociaux et médico-sociaux du territoire.
Une initiative salutaire, mais difficile à mettre en place et dont il faut espérer qu’elle ne constituera pas, au final, une usine à gaz.