Alcoolisme tardif

Pas si banal

Publié le 21/11/2014
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Malgré sa fréquence, l'alcoolisme est rarement dépisté et pris en charge chez les sujets âgés alors qu'il devrait être évoqué dans nombre de situations cliniques.

Il est difficile de chiffrer précisément l'alcoolisme chez les seniors. Mais « globalement 10 % des seniors ont un problème d'alcool. Et les femmes sont aussi touchées que les hommes. Parmi les sujets psychiatriques, la prévalence monte à 17 %. Et chez les seniors institutionnalisés, on atteint les 20-25 % », résume le Dr Olivier Drunat (gériatre, CHU Bretonneau, Paris).

Or « du fait de la banalisation de la consommation d'alcool avec l'âge et de facteurs d'environnement comme l'isolement, l'alcoolisme du sujet âgé passe souvent inaperçu. Et l'on n'y pense pas assez. Résultat : seul un alcoolo-dépendant âgé sur quatre est dépisté. Et moins d'un sur dix est adressé à un centre spécialisé. Alors que les programmes de prise en charge et de suivi fonctionnent tout autant que chez les adultes plus jeunes », déplore le Dr Olivier Drunat (gériatre, CHU Bretonneau).

Il est donc urgent de mettre en avant le problème de l'alcoolisme des seniors. « D'autant que la dépendance et les problèmes psychiatriques, problématiques majeures chez le sujet âgé, sont à la fois des facteurs déclenchants et des complications de l'alcoolisme », ajoute le gériatre.

Un alcoolisme récent une fois sur trois

Qui sont ces seniors alcoolo-dépendants ? Dans deux tiers des cas l'alcoolisme remonte à plusieurs années et perdure dans le grand âge. Toutefois, une fois sur trois, cet alcoolisme est récent. On parle alors d'alcoolisme tardif. Il débute autour de la soixantaine avant d'évoluer, progressivement, d'un usage à risque vers un usage nocif puis vers l'alcoolo-dépendance. « Ses principaux facteurs de risque sont l'isolement, un conjoint malade, la retraite, et une mauvaise insertion dans la société », précise le Dr Drunat.

Cet alcoolisme tardif s’installe-t-il plus vite chez le senior ? « En terme d'addiction, il est possible qu'avec

l'âge, le cerveau ait une moins bonne résistance à l'alcool et que l'évolution vers la dépendance puisse être accélérée. Mais ce n'est pas formellement prouvé alors que dans les addictions médicamenteuses du senior, c'est clairement démontré, explique Olivier Drunat. En revanche, pour les complications somatiques (foie...) et psychiatriques, les données sont nettes, montrant qu’elles surviennent plus vite chez le sujet âgé. »

Des situations cliniques d'appel banales

« De nombreuses situations cliniques banales devraient donc nous alerter et faire évoquer, et dépister, l'abus d'alcool », souligne le Dr Drunat. En particulier lors de déficit cognitif ou fonctionnel, de chutes à répétition, de dénutrition, de troubles psychiatriques, de négligence corporelle ou sociale, d'isolement progressif mais aussi devant des états confusionnels surgissant à l'hospitalisation. Ces confusions peuvent, en effet, être l'expression d'un syndrome de sevrage, pourtant rarement évoqué... »

Parmi les facteurs favorisant l’intoxication enolique, « l'anxiété est un des moteurs majeurs de la prise d'alcool. Or nombre de sujets âgés souffrent de troubles anxieux chroniques ». Les démences (maladie d’Alzheimer, démence vasculaire) favorisent d'une autre manière l'alcoolisme, les sujets déments oubliant qu'ils ont déjà bu et « remettant ça ». Avec, à la clé, des consommations journalières importantes et/ou des consommations excessives ponctuelles.

Enfin, la dépression est fréquente chez l'alcoolique âgé. Et la combinaison alcool-déprime aggrave le pronostic, en particulier le risque de passage à l'acte. Or le sujet âgé se « rate » rarement. Le ratio de suicide « réussi » sur nombre de tentatives passe de 1 sur 30 chez la jeune femme à 1 sur 2 chez la femme âgée... g

Pascale Solère

Source : lequotidiendumedecin.fr